Donald W. Winnicott
Partie 2: Notions, la mère suffisamment bonne
Winnicott, un intérêt pour les relations précoces
Comme nous l'avons vu, Winnicott, pédiatre et psychanalyste, s'est beaucoup intéressé aux premières années de la vie d'un enfant. Dans le contexte de la seconde guerre mondiale, il a été conseiller du gouvernement Britannique pour les plans d'évacuation des enfants de Londres. Cela a nourri sa réflexion autour des enjeux et des liens entre séparation, privation et délinquance. Partant de son intense pratique clinique, il a dégagé un certain nombre de concepts qui permettent de mieux comprendre la première expérience de l'individuation et comment la personnalité se développe.
"Un bébé, ça n'existe pas"
« Si vous voulez décrire un bébé vous vous apercevrez que vous décrivez un bébé et quelqu’un d’autre. Un bébé ne peut pas exister tout seul, il fait essentiellement partie d’une relation.»
Donald W. Winnicott, Le bébé en tant que personne, in L'enfant et le monde extérieur. Le développement des relations. 1947.
Ainsi selon sa célèbre formule, et en se référant aux travaux de la psychanalyste Anna Freud, Winnicott indique que l'on est d'emblée face à un couple mère-bébé basé sur des interactions entre des besoins et des réponses. Il faut entendre par "mère" la personne qui prend cette fonction auprès de l'enfant, que soit réellement elle ou son substitut. Winnicott insiste donc sur l'impossibilité d'isoler le nourrisson de son environnement. Il souligne l'importance du rôle parental compte tenu de l'immaturité du tout petit, immaturité physiologique et psychique, qui le rend entièrement dépendant (phase primitive de 0 à 4-5 mois).
En effet, à ce stade, le nouveau-né n'a pas encore acquis le "sentiment de continuité d'être" qui est sera à la base de son Moi (Self) . Il est encore dans un état psychique primitif de non-séparation et de non-intégration où il n'a pas idée de son existence ni de l'environnement en tant qu'environnement, son Moi n'est pas encore constitué.
C'est par les interactions entre le bébé et son environnement, les réponses données à ses besoins, qu'il va pouvoir avoir l'illusion qu'il existe une réalité extérieure qui répond magiquement à ses attentes.
La préoccupation maternelle primaire
Selon Winnicott, la "préoccupation maternelle primaire" est un état d'empathie de la mère qui s'identifie plus ou moins consciemment à son nouveau-né pour savoir ce dont il a besoin, comment le porter ("holding") et comment le traiter ("handling").
Cet état fusionnel se développerait au cours de la grossesse pour atteindre son apogée dans les premières semaines suivant la naissance. Cela impliquerait que la femme puisse et veuille bien se détourner de certains de ses intérêts personnels pour diriger son attention vers son bébé de manière quasi exclusive.
Winnicott ajoute que la mère doit être en bonne santé pour atteindre cet état de repli, de dévotion et d'hypersensibilité qu'il nomme "maladie normale". Elle doit être également en capacité de s'en libérer au fur et à mesure que le bébé grandit, introduisant progressivement du manque nécessaire à l'élaboration du désir. La préoccupation maternelle primaire, en répondant aux besoins du bébé induirait chez lui un "sentiment continu d'exister suffisant" sur lequel repose le début de structuration du Moi.
Qu'est-ce une mère suffisamment bonne ?
Pourquoi "mère suffisamment bonne" ? Pourquoi ni trop bonne ni pas assez ?
Après avoir souligné l'importance initiale de la préoccupation maternelle primaire, Winnicott insiste sur la nécessité que l'enfant puisse faire l'expérience progressive de la frustration et du manque afin de pouvoir ressentir ses propres besoins. Un environnement trop bon qui ne laisserait pas la place à l'attente et comblerait instantanément tous les besoins priverait le bébé de la possibilité d'éprouver des envies et de se manifester.
A contrario, un environnement pas suffisamment bon (not good enough), qui ne répondrait pas aux besoins du bébé, ne fournirait pas le cadre indispensable à l'édification de sa personnalité. Le Moi précoce du bébé, non soutenu par le soins maternels qui lui permettraient de se rassembler, ne pourrait faire face constamment aux empiétements de la réalité extérieure et aux exigences pulsionnelles. Dans ce contexte carencé, l'enfant serait aux prises avec une angoisse extrême. Son Moi resterait immature et risquerait même la désintégration, le morcellement.
Cheminer vers une dépendance relative
Suivant cette première phase de dépendance totale vient une phase de "dépendance relative" (4-6 mois à 12 mois) où l'enfant va peu à peu pouvoir se différencier de son environnement. Progressivement, il va quitter son état d'omnipotence et d'illusion d'être satisfait magiquement pour établir un début de relation objectale.
Ce cheminement, il ne peut le faire qu'avec elle. En effet, pour pouvoir se différencier en sortant de la fusion, le bébé doit faire l'expérience courte du manque qui lui permettra de se manifester pour que l'on réponde à ses besoins. La phase de dépendance relative est donc avant tout une désadaptation progressive de la mère.
Ce début de relation objectale initie pour le bébé "des objets-autres-que-moi" que Winnicott nomme également "objets transitionnels"... A suivre dans la partie 3.
La mère suffisamment bonne, lecture
Trente textes, de 1935 à 1963, dépeignant le vaste domaine d'investigation de Winnicott. De "La préoccupation maternelle primaire", à "L'adolescence" en passant notamment par "La tendance antisociale" et l'étude de "La capacité d'être seul". Tout au long, les aménagements du cadre thérapeutiques inventés par Winnicott de manière originale, vivante et ludique.