La dépression de l'adolescent
« Écoute, je suis un fêlé, un cinglé. Je fous la merde. Je me bats. Je déçois tout le
monde. Ouh là, ne contrariez pas Finch. Ça y est, il recommence, il va piquer une crise. Finch et ses humeurs. Finch en colère. Imprévisible. Incontrôlable. Fou. Mais je ne suis pas une liste de
symptômes."
in Tous nos jours parfaits de Jennifer Nirven, 2015.
L'adolescence, une période singulière :
L'adolescence est une période de transition et de changements. Le monde interne de l'adolescent est en pleine évolution, ses capacités d'élaboration sont en construction et il peut avoir recours à l'agir ou à la somatisation comme moyen d'expression. L'équilibre est parfois fragile et la communication avec l'adulte n'est pas toujours évidente. L'adolescent ne donne pas sa confiance aisément, il a souvent besoin de jauger l'adulte pour y consentir, de temps pour établir une relation où il puisse se livrer un peu. Les symptômes de la dépression sont multiples, variés, masqués et souvent à déchiffrer. Pour toutes ces raisons,la dépression peut passer inaperçue.
De la "déprime"ordinaire :
Une des facettes de l'adolescence est la présence de manifestations émotionnelles et affectives intenses, parfois bruyantes et avec de fortes variations. L'adolescent, comparé par Françoise Dolto à un homard en pleine mue, est à fleur de peau. Le corps peut être source d'inquiétudes, de mal être voire d'insatisfaction.
Morose, de mauvaise humeur, boudeur, irritable et triste, l'adolescent a souvent le sentiment de ne pas être compris. Il peut manquer de confiance en lui, douter de ses capacités à réussir, se sentir même incapable et développer un certain pessimisme quant à son devenir. L'ennui, l'impatience de devoir différer la réalisation de certains projets pour le moment inaccessibles teintent ses pensées et ses émotions.
Ambivalent, il oscille entre une demande de protection parentale et une exigence d'émancipation. Les conflits au sein de la famille et ses tentatives parfois houleuses pour se positionner différemment peuvent être source de culpabilité. Enfin, l'idée de mort peut traverser son esprit et le perturber.
Comment différencier "déprime" et dépression
L'importance du repérage des troubles dépressifs
Comme nous venons de l'évoquer, le dépistage de la dépression chez un adolescent est une tâche délicate, l'entourage est parfois démuni et il ne faut pas hésiter à recourir à l'aide d'un professionnel compétent si l'on a des doutes (médecin généraliste, psychiatre, psychologue).
Différentes séries de facteurs peuvent mettre la puce à l'oreille comme l'intensité des manifestations dépressives, leur durée et leur mode d'apparition.
Cependant, ces repérages peuvent être brouillés, masqués par des comportements à décrypter. L'adolescent dépressif ne se montre pas forcément triste et replié sur lui-même. La dépression peut s'exprimer par une irritabilité, de l'agressivité, de la colère, de l'agitation, des somatisations... Cette complexité du diagnostic du fait de la symptomatologie polymorphe et la confusion possible avec la déprime ordinaire peuvent avoir pour conséquences la non identification des troubles dépressifs et l'absence de traitement adéquat. Ces dépressions non décelées et non soignées fragilisent l'individu et font le lit de potentielles rechutes dépressives.
Ce sont toutes ces caractéristiques qui colorent l'humeur, les pensées et le comportement de l'adolescent que l'on nomme communément "déprime". Cet état ordinaire, transitoire et variable d'un individu à l'autre est constitutif du processus de l'adolescence. La difficulté réside alors dans l'appréciation de ce qui révèle de l'ordinaire et de ce qui peut ou a déjà basculé vers du pathologique nécessitant l'aide d'un professionnel. En effet, si l'adolescence est souvent considérée comme une période "propice à la dépression", il est important de faire la distinction entre une déprime passagère qui n'empêche pas le jeune de poursuivre ses activités avec envie et plaisir d'une véritable dépression de niveaux là encore variables.
Les "warning" à observer :
L'intensité variable des manifestations dépressives :
Le premier facteur permettant de faire la distinction entre l'ordinaire et la maladie est l'intensité des manifestations. Dans la dépression, il ne s'agit plus d'un simple ennui et d'une humeur morose. Le critère premier à considérer est la souffrance morale. Le sentiment de culpabilité peut être accru, la propension à se dévaloriser plus marquée et plus fréquente. Il n'est plus question d'un simple malaise concernant son apparence physique ou de mise en doute à propos de ses capacités intellectuelles. Le point de vue est plus vif, acéré, cinglant et massif. Les idées de mort s'associent à la souffrance morale, à la culpabilité et à la dévalorisation comme une issue pour en finir avec des éprouvés et des pensées insolubles.
La durée des manifestations dépressives :
Pour différencier une "déprime" ordinaire passagère d'un épisode dépressif à proprement dit, la durée des manifestations dépressives est un indice concret et pertinent. Une plainte répétitive voire continue qui dure depuis 15 jours où il est question de culpabilité, de tristesse, de dévalorisation doit être prise au sérieux. Des troubles soudains du sommeil et de l'alimentation sont également des indicateurs.
La survenue brutale et inattendue des troubles :
Un changement brutal du comportement de l'adolescent et l'apparition inattendue d'émotions massives (anxiété, agitation, agressivité, colère ou bien retrait, inhibition, ralentissement moteur et de la pensée. ) sont des signaux d'alerte. La perte d'envie et l'absence de plaisir sont des paramètres importants.
Les effets de la dépression à l'adolescence :
La dépression non traitée peut avoir des effets sur la vie de l'adolescent dans les différents domaines qui la composent. Là encore, le mode d'expression est varié et singulier d'une personne à une autre.
Difficultés scolaires, diminution de l'estime de soi :
La dépression fatigue et agit sur les capacités cognitives. L'attention, la concentration, la mémorisation sont plus difficilement mobilisables. La dépression induit une
perte de l'envie et du plaisir qui peuvent se traduire par un désinvestissement scolaire. L'ensemble atteint la confiance en soi, attise les sentiments d'incapacité et
d'inutilité. La pensée est obscurcie, la perception de l'avenir, des autres, de soi subit ce filtre noir qui peut mener au désespoir. C'est comme si le sujet
portait des lunettes noires en pensant être dans le vrai.
Les conduites à risques :
Les appels à l'aide sont plus ou moins clairs et plus ou moins lisibles. Les proches ne sont pas toujours les mieux placés pour identifier clairement la problématique et les moyens de la traiter. De plus, les conduites à risques et les comportements violents ne sont pas toujours perçus comme l'expression d'un mal être.
Ainsi, les fugues ou leur évocation sont souvent des sonnettes d'alarme à considérer attentivement. La consommation d'alcool ou de drogue peut être une tentative de l'adolescent d'éviter ses émotions négatives alors qu'il ne fait que les aggraver. De la même manière, l'adolescent peut se réfugier dans une utilisation excessive et addictive du numérique (internet, jeux vidéo...) qui ne fait que creuser son isolement et sa dépression. Les accès de violence, les comportements dangereux ou imprudents sont des signaux de détresse psychologique qui nécessitent une aide. Enfin, lorsqu'un adolescent se scarifie ou s'inflige des brûlures cutanées, ces comportements signent des difficultés identitaires. Ils sont quasiment toujours associées à des troubles dépressifs et indiquent un risque suicidaire ("J'ai besoin de me faire mal pour aller mieux et c'est plus fort que moi").
L'adolescent suicidaire
Le suicide fait partie des risques potentiels de toute dépression. En France, il est la seconde cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 24 ans. Le fait qu'un adolescent évoque le suicide ou qu'il ait des conduites dangereuses sont à considérer comme de véritables appels à l'aide.
"- Qu'est-ce que tu fais là, mon pauvre chou ?
A ton âge on ne connaît pas encore les souffrances de la vie !
- Manifestement, Docteur, vous n'avez jamais été une fille de 13 ans."
In The Virgin Suicides, Jeffrey Eugenides, 1999.
Dessin de Haenuli
Traiter la dépression
Comment aider un ado dépressif ?
Lorsqu'un adolescent va mal, il ne faut donc pas hésiter et tarder à demander l'aide d'un professionnel. Le médecin traitant est un interlocuteur privilégié qui peut recevoir les interrogations, proposer des solutions adéquates et orienter vers les spécialistes du fonctionnement psychique que sont les psychiatres et les psychologues.
Dans un premier temps, il est essentiel d'évaluer précisément le niveau de dépression, son contexte, d'observer la présence éventuelle d'autres troubles.
Il s'agit également d'enrayer le risque suicidaire. Selon le type de dépression et son intensité, un traitement pharmacologique peut être prescrit mais il n'est pas toujours nécessaire. L'établissement d'un lien de confiance avec l'adolescent et ses proches doit favoriser le dialogue et la mise en place d'un suivi personnalisé. L'empathie, la bienveillance et les compétences du professionnel sont des préalables à l'instauration de ce lien.
Une proposition thérapeutique complète et adaptée vise à traiter l'épisode dépressif actuel, à
identifier et à travailler les divers composants environnementaux et psychiques qui l'ont provoqués, à accompagner des remaniements et ouvrir vers des perspectives
d'avenir.
Lecture pour approfondir :
"La souffrance des adolescents"
de Denis Bochereau & Philippe Jeammet
"Il n'est pas toujours facile de distinguer une souffrance " normale" d'une pathologie nécessitant un traitement. C'est l'un des buts de ce livre : aider les parents à comprendre leurs adolescents et repérer certains signaux d'alerte pour lesquels il est préférable de consulter. Édité en collaboration avec la Fondation de France et l'Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques), ce livre se veut une réponse aux nombreuses questions des parents concernés, pour les accompagner au mieux dans leur difficile cheminement."