Au sortir de l'enfance
"Ah ! l’égoïsme infini de l’adolescence, l’optimisme studieux : que le monde était plein de fleurs cet été ! Les airs et les formes mourant… — Un chœur, pour calmer l’impuissance et l’absence ! Un chœur de verres, de mélodies nocturnes… En effet les nerfs vont vite chasser."
Arthur Rimbaud, 20 ans, Jeunesse, in Recueil Illuminations, 1873
Approche philosophique de l'adolescence
Paul Audi, "Au sortir de l'enfance", Édition Verdier, 2017
Paul Audi, philosophe et enseignant à l'Université René Descartes à Paris est l'auteur de divers ouvrages autour de l'éthique et de l'esthétique.
Dans son nouvel essai, il propose une approche philosophique de l'adolescence, sujet le plus souvent abordé par le biais psychologique. Selon lui, l'adolescence n'est pas seulement le début de la puberté ou le passage de l'enfance à l'âge adulte. Il la conçoit plutôt comme une "période de crise, de crise profonde (...) prenant ici le sens d'interruption ou de rupture, de scission ou de séparation."
L'adolescence comme moment de vérité :
Selon Paul Audi, l'adolescence est un moment de vérité qui se manifeste par du doute, des interrogations, de la recherche de soi. L'adolescent prend conscience de sa finitude humaine à savoir "
de ne pas pouvoir être à l'origine de son être, de ne pas pouvoir décider, ni intellectuellement ni physiquement de sa venue dans la vie". Cette confrontation à
"son impuissance quant à sa naissance" dont l'origine ne lui appartient pas le place face à une dette de vie qu'il est possible de traiter de
différentes manières selon comment on la considère. L'adolescence peut donc être vue comme un problème à résoudre.
Le temps d'une décision à prendre quant à soi
Selon le philosophe, de ne pas avoir choisi sa venue au monde l'individu contracte une dette de vie qu'interroge l'adolescent. Les conduites à risques, la honte, le désespoir seraient des manifestations de cette prise de conscience quant à son impuissance. L'adolescent tout puissant cherche les limites pour le ramener à une dimension supportable de sa propre puissance. C'est un moment de crise car chaque accès de surpuissance est sanctionné par une conscience d'impuissance. Les deux mêlées induisent un état d'interrogation vertigineuse qui amène à douter de soi.
Que faire de la dette ? Et que faire dès lors de sa vie ?
Selon le philosophe, le sujet se retrouverait a face à trois possibilités de traitement de cette dette de vie :
Une première configuration qu'il nomme "présomption" à savoir une opinion fondée seulement sur des indices, des apparences, des commencements de preuves. L'adolescent cherche à annuler la dette en ayant l'illusion d'une seconde naissance où il ne doit rien à ses géniteurs.
La deuxième voie serait celle de la "consomption" ou de l'effondrement et du dépérissement face à cette prise de conscience de la dette. La figure de Hamlet en est le prototype. Hamlet qui récrimine et rejette le monde entier car il n'arrive pas à grandir et ne voit pas comment se tirer de cette situation. Au comble du désespoir, il prononce le célèbre "Être ou ne pas être telle est la question."
Et puis "l'assomption", au sens philosophique d'acceptation, comme troisième configuration . Le sujet assume lucidement la dette et sa finitude. Cet acte le libère et lui ouvre la voie de la procréation et de la création. Et de citer le poète Arthur Rimbaud pour lequel une des voies de sortie de l'adolescence est de s'emparer de son "impulsion créatrice".
Que garde t-on de l'adolescence ?
Après s'être posé la question de ce que l'on garde de l'enfance, l'auteur questionne donc le mode de sortie de l'adolescence. Selon Paul Audi, l'individu sort de l'adolescence mais peut, à certains moment de sa vie d'adulte, réactiver et raviver des moments passés à l'adolescence. Le désespoir, l'importance du regard et la honte, la surpuissance qui nous rend ivre de nous même seraient des réactivations de cette époque.