"Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits "
Charles Baudelaire,
Spleen in Les Fleurs du mal.
La dépression en France
Problème de diagnostic et de prescription
Mieux traiter la dépression selon la Haute Autorité de Santé
Ce 8 novembre, la Haute Autorité de Santé (HAS est un organisme public indépendant chargé d'évaluer l'utilité médicale des actes pris en charge par l'Assurance maladie) a publié une recommandation destinée aux médecins généralistes :
"Près d’un Français sur 10 aurait connu un épisode dépressif au cours des douze derniers mois. Pourtant environ 40% des personnes souffrant de dépression ne recourent pas aux soins dans notre pays, ce qui a des effets délétères sur leur vie quotidienne et aggrave le risque de suicide.
A l’inverse, certaines déprimes passagères ou certains troubles psychiques graves sont parfois pris pour des dépressions et traités de façon inadéquate. Enfin, même lorsque la dépression est correctement diagnostiquée, on observe souvent un mauvais usage des antidépresseurs : trop souvent prescrits pour des dépressions légères, pas assez dans des dépressions sévères, ou délivrés sans psychothérapie ni suivi."
Qu'est-ce que la dépression ?
Identifier la dépression
La douleur morale qui retire le goût de vivre
Évaluer précisément :
Des niveaux variés de souffrance dépressive à repérer :
Un état de tristesse ou de « déprime » ne constitue pas nécessairement une dépression :
Le diagnostic de dépression ne doit pas être banalisé. Il existe, de la simple tristesse à la mélancolie, des niveaux variés de souffrance
dépressive.
Un certain nombre de signes doivent être observés avant d'évoquer cette maladie et d'éliminer d'autres maladies qui ont des signes en commun.
Ainsi, comme le précise l'HAS, la dépression ne se manifeste pas que par de la tristesse :
" Pour établir le bon diagnostic, il faut s’assurer que la personne cumule différents symptômes (humeur dépressive, perte d’intérêt ou d’énergie mais aussi concentration réduite, diminution de l’estime de soi, sentiment de culpabilité, idées et comportement suicidaires ou encore troubles du sommeil ou de l’appétit) qui se manifestent de manière quotidienne, depuis au moins 2 semaines et avec une certaine intensité. La dépression provoque un changement de fonctionnement dans la vie professionnelle, sociale ou familiale, et génère une véritable détresse."
Ce repérage est d'autant plus délicat au moment de l'adolescence ou déprime et dépression peuvent être amalgamées.
Cinq dérèglements hypofonctionnels :
La baisse dépressive ressentie par le sujet affecte donc cinq zones fonctionnelles : l'humeur (tristesse marquée, souffrance morale), la capacité à ressentir les émotions (perte de la capacité à prendre du plaisir), l'activité psychomotrice ( ralentissement moteur et de la parole, visage peu expressif) et les fonctions vitales (perte d'appétit, amaigrissement, troubles du sommeil).
Le ralentissement touche également les activités intellectuelles (mémoire, capacités d'attention et de concentration diminuées, impossibilité à faire des choix).
Trois dérèglements hyperfonctionnels :
Une hyperactivité caractérielle s'exprime par une tension agressive, une tendance aux colères et emportements ("Je suis irritable, je ne supporte personne").
Une hyperémotivité se traduit par une difficulté à maîtriser ses émotions et une forte anxiété ("Je pleurs pour rien, je change d'humeur").
Enfin, une hyperesthésie sensorielle rend le sujet intolérant aux bruits ("Les conversations me dérangent").
Pour approfondir : "Vrais déprimés, fausses dépressions", Monique Brémond & Alain Gérard, Flammarion, 2005.
"Je ne savais pas comment l'atteindre ou le rejoindre... C'est tellement mystérieux le pays des larmes."
Antoine de Saint-Exupéry,
in Le Petit Prince.
Selon le psychanalyste Pierre Fédida qui fait l'"Éloge de la psychothérapie" dans le traitement des dépressions :
« L'expérience commune de l'état déprimé pourrait tenir en une seule sensation : celle, quasi physique, d' anéantissement. Cette sensation est à peine un affect qu'on éprouve, et elle paraît très éloignée de la perception d'une souffrance vécue par le sujet. Elle s'apparente plutôt à une immobilisation, à un empêchement de ressentir les moindres mouvements de la vie interne et extérieure, à l'abolition de toute rêverie et de tout désir. La pensée, l'action et le langage semblent pris en masse par une violence du vide. Du reste, la plainte du déprimé- quand elle parvient à s'exprimer- est pauvre et répétitive : c'est encore de la parole, mais comme éloignée de la parole. La vie est vide ; il n'y a de goût ni d'intérêt pour rien, et une incapacité à faire quoique ce soit. »
Traiter la dépression
Écouter- Prescrire
Dans son communiqué aux médecins, l'HAS précise que les antidépresseurs ne doivent être prescrits que dans certains cas et qu'ils doivent être associés à une psychothérapie :
"Quel que soit le niveau de dépression, la prise en charge repose en premier lieu sur un soutien psychologique qui peut tout à fait être conduite par le médecin traitant, par un psychologue ou un psychiatre pour les cas complexes et/ou sévères notamment".
"Les antidépresseurs ne doivent pas y être systématiquement associés : ils ne sont pas indiqués en cas de dépression légère, peuvent être envisagés pour les dépressions modérées et doivent en revanche être proposés d’emblée pour les dépressions sévères."
Une pratique qui allie la psychothérapie à la pharmacologie
Comme nous venons de le voir, le diagnostic différentiel est la première étape. Il s'agit de déterminer précisément si le patient présente des symptômes dépressifs simples, réactionnels et transitoires ou une véritable pathologie dépressive caractérisée.
A partir de là, le médecin interroge la pertinence d'un traitement pharmacologique. Dans le même temps, il envisage la possibilité actuelle d'une approche psychothérapeutique. Il s'agira d'abord d'amorcer une reprise de la communication en essayant d'établir un lien pour permettre au sujet de mettre des mots sur ce qui le fait souffrir et sortir progressivement de son isolement.
Il faut être au moins deux pour guérir de l'isolement et du vide intérieur :
"La psychothérapie se donne pour objectif de prendre soin de la souffrance psychique, son but n'est autre que de parvenir à guérir les humains de ce psychisme qui les fait souffrir."
Pierre Fédida
Pour approfondir :
Un peu de lecture
"La dépression comment en sortir"
du Dr Christin Mirabel-Sarron chez Odile Jacob
Un guide pratique qui répond à vos questions sur la maladie et expose la méthode des thérapies cognitives et comportementales (TCC) pour combattre la dépression en agissant sur vos comportements et en modifiant vos pensées négatives.
"Des bienfaits de la dépression. Éloge de la psychothérapie"
du psychanalyste Pierre Fédida chez Odile Jacob
Suffit-il de supprimer les symptômes de la dépression pour en guérir ? Peut-on évacuer si facilement la souffrance psychique qui est au fond
de l'état déprimé ? Peut-on, comme par enchantement, retrouver le désir de vivre, de rêver et d'agir ? Psychanalyste, Pierre Fédida montre ici pourquoi la psychothérapie aide à
revivre.